Être gestionnaire ou médecin en temps de pandémie : enjeux de santé mentale et pistes d’action

Ce rapport présente les résultats de l’analyse d’entrevues de groupe qui ont été réalisées à l’hiver 2021 afin de documenter l’expérience de gestionnaires et de médecins œuvrant dans le réseau de la santé et des services sociaux durant la pandémie de la COVID-19. L’objectif principal de la démarche était de guider les acteurs de ce réseau vers le développement de stratégies préventives appropriées en vue de protéger la santé mentale des personnes appartenant à ces deux groupes. Voici, de façon synthétique, ce que les analyses nous ont appris.

Les risques psychosociaux du travail

Alors que les risques psychosociaux du travail (RPS) sont de mieux en mieux documentés chez le personnel soignant, il en est autrement pour les gestionnaires et les médecins qui sont plus rarement l’objet de travaux sur la question et qui, par ailleurs, témoignent peu de leur situation de travail.

L’analyse des entretiens, réalisés au moment de la deuxième vague pandémique, a permis d’identifier un ensemble de risques psychosociaux liés au travail qui sont, dans la plupart des cas, présents à la fois chez les gestionnaires et les médecins.

Il convient de noter que les frontières entre chacun des RPS dégagés ne sont pas étanches, au contraire. Ces différents RPS se croisent et se superposent de façon dynamique et ce cumul contribue d’ailleurs à amplifier les impacts qui en découlent chez les travailleurs, notamment en termes de santé mentale.

  • La charge de travail élevée constitue le risque le plus présent chez les personnes rencontrées, dont les mandats et les horaires ont été largement bousculés par le contexte de crise. Parmi les éléments les plus récurrents, soulignons : des horaires contraignants, des enjeux de gestion en contexte de pandémie (ex. : manque de personnel, gestion de plusieurs sites/de plus grosses équipes), des enjeux d’information et de communication
    (ex. : flux important d’informations), des demandes contradictoires.
  • Il a été aussi beaucoup question de la charge émotionnelle du travail qui aurait été amplifiée par le contexte de la crise sanitaire : la peur pour soi et pour les autres, le sentiment de culpabilité ou de responsabilité, la peur de commettre des erreurs ou l’impression de ne pas bien faire son travail ou d’aller à l’encontre de ses valeurs personnelles ou professionnelles constituent des éléments souvent rapportés par les participants.
  • Des enjeux liés au manque de reconnaissance ont été soulevés lors des entretiens. Pour les gestionnaires de façon plus spécifique, il a été souvent question du manque de reconnaissance au plan salarial. Au-delà de ce manque de reconnaissance, un sentiment d’injustice était quant à lui présent chez des participants des deux groupes, ce qui s’est surtout traduit par le sentiment que d’autres catégories de travailleurs ou travailleuses ou d’autres secteurs priorisés bénéficiaient de plus de considération.
  • Le manque de soutien social de la part des supérieurs et des collègues teinte également l’expérience des participants dans le contexte de pandémie : manque d’entraide entre collègues, isolement, éloignement des supérieurs hiérarchiques, manque d’accès à des ressources d’aide appropriées, etc.
  • Le manque d’autonomie décisionnelle a aussi été rapporté par les participants, qu’ils soient gestionnaires ou médecins : structure décisionnelle plutôt rigide, particulièrement dans le contexte de la crise, peu de place laissée aux initiatives, etc.
  • Les enjeux de conciliation travail – vie personnelle sont également présents pour plusieurs participants, particulièrement ceux qui ont de jeunes enfants et qui ont été confrontés à des fermetures scolaires ou de milieux de garde tout en devant poursuivre leurs activités de travail.

Les stratégies rapportées

Les participants aux entretiens ont fait état d’un ensemble de stratégies qui ont été utilisées pour agir sur les risques psychosociaux du travail et tenter d’en atténuer les impacts. Voici quelques exemples des stratégies qui ont été le plus souvent rapportées :

  • Stratégies individuelles : avoir recours à un programme d’aide (ex. : le Programme d’aide aux médecins du Québec [PAMQ] ou celui de la Fédération des médecins spécialistes du Québec), aller chercher de l’aide auprès de collègues ou de co-équipiers, réorienter sa carrière (ex. : quitter le milieu des centres d’hébergement de soins de longue durée [CHSLD] pour retourner en hôpital).
  • Stratégies collectives : renforcer la collaboration au sein des équipes ou entre pairs, former des groupes de discussion informels, contribuer à la fabrication -d’équipements de protection individuelle (visières).
  • Stratégies organisationnelles : bonifier la capacité de faire du télétravail, déployer des ressources en santé mentale au sein de certains services, mettre en place des structures de discussion, organiser des services de garde pour le personnel essentiel.

Les pistes de solution proposées par les participants

Les participants rencontrés ont proposé un ensemble de pistes de solution qu’ils souhaiteraient voir mises en place à court, moyen ou long terme. La plupart d’entre elles ont déjà fait l’objet de recommandations qui ont été portées à l’attention des décideurs et des organisations. D’autres, cependant, parce que plus spécifiques à la réalité du travail des gestionnaires et des médecins en temps de pandémie, ont été jusqu’ici peu proposées aux milieux. Ces pistes été regroupées selon les risques psychosociaux identifiés lors des entretiens. Parmi ces pistes souvent proposées, soulignons :

  • En lien avec la charge de travail : augmenter le nombre de ressources disponibles (personnel); avoir accès à des temps de repos et de congé; améliorer la communication et le partage d’informations entre les différents paliers; offrir un meilleur soutien administratif et informatique en télétravail.
  • En lien avec la reconnaissance : offrir davantage de reconnaissance à tous les travailleurs et travailleuses de la santé (y compris aux médecins et gestionnaires); offrir du soutien « spécialisé » aux gestionnaires.
  • En lien avec le soutien social des collègues : créer des structures d’entraide et de partage entre pairs; donner accès à des espaces de discussion; créer des communautés de pratiques pour les gestionnaires.
  • En lien avec le soutien social des supérieurs : favoriser une plus grande présence des autorités décisionnelles sur le terrain; faire preuve de plus de transparence dans les communications entre la gestion et les travailleurs et travailleuses.
  • En lien avec l’autonomie : mettre en place des processus de consultation des soignants (incluant les médecins et les gestionnaires); inviter les gestionnaires/médecins à participer aux processus décisionnels.
  • En lien avec la conciliation travail – vie personnelle : offrir de meilleures conditions de conciliation pour ceux qui ont des responsabilités familiales; encadrer le recours au télétravail.