Consommation avant l’annonce de la grossesse
Lorsqu’une femme a consommé une ou des substances psychoactives avant de savoir qu’elle était enceinte et qu’elle s’inquiète pour son bébé, il est suggéré de prendre le temps de bien comprendre ses craintes et inquiétudes. On devrait lui donner de l’information objective (voir tableau 2) et exempte de jugements quant aux effets possibles de la consommation de substances psychoactives sur la grossesse et le développement de l’enfant. Elle devrait, au besoin, être dirigée vers du personnel qualifié, ainsi que vers une équipe multidisciplinaire, afin d’assurer un soutien médical, social et psychologique adapté à sa situation.
Il n’existe pas de consommation sans risque. L’arrêt de la consommation est donc recommandé. À cet égard, il est important d’adopter des stratégies d’intervention qui permettront à la femme et à son ou sa partenaire de modifier leurs habitudes de consommation, sans les culpabiliser. L’approche motivationnelle permet d’intervenir dans une perspective de réduction des méfaits108,109.
En outre, il est important de noter que l’arrêt immédiat de la prise de certaines substances psychoactives telles que les benzodiazépines, l’alcool et les opioïdes, présente également des risques. Les femmes enceintes qui consomment ces substances doivent consulter leur médecin ou un professionnel de la santé spécialisé pour être bien conseillées et accompagnées. Pour les opioïdes, voir la section Traitement de la dépendance aux opioïdes.
Environnement social
L’environnement social de la femme enceinte est un facteur important qui peut influencer sa consommation de substances psychoactives. Une personne qui consomme des substances psychoactives est plus à risque de développer des relations sociales et amoureuses avec des gens qui partagent cette habitude19.
Par conséquent, il peut être difficile pour une femme enceinte de cesser de consommer, car cela implique une rupture potentielle des liens avec les gens qui consomment dans son entourage1109. Ce choix peut affaiblir son réseau social et l’obliger à trouver de nouvelles personnes susceptibles de la soutenir dans la cessation ou la réduction de sa consommation. Il est donc important de prévoir un suivi et de soutenir le développement de liens sociaux110,19.
Le ou la partenaire peut exercer un rôle d’influence dans la dynamique de consommation de la femme enceinte19,111. Celle-ci peut trouver difficile de s’abstenir de consommer des substances psychoactives lorsque son ou sa partenaire en consomme. Une diminution de la consommation de substances psychoactives chez le ou la partenaire, ou son soutien par rapport à la cessation de la consommation, pourrait augmenter la probabilité que la femme enceinte cesse ou diminue sa propre consommation durant la grossesse50.
Dans la mesure du possible, il est proposé :
- d’informer le ou la partenaire, s’il y a lieu, de l’influence de ses habitudes de consommation sur celles de sa compagne et des effets négatifs de la consommation de substances psychoactives sur la grossesse et sur le développement du fœtus19,50,62;
- d’encourager la future mère et son ou sa partenaire à se joindre à des activités qui leur permettront de rencontrer d’autres futurs parents et d’agrandir leur réseau social.
Ressources de soutien
Dans le cas où la femme enceinte ne peut compter sur le soutien de son ou sa partenaire ou de sa famille, il est suggéré de la guider vers des ressources qui pourront lui offrir le soutien adéquat et qui pourront l’accompagner dans une démarche de réduction ou de cessation de consommation (voir la section Ressources et liens utiles).
La grossesse constitue une occasion de changement pour les femmes et représente une fenêtre d’opportunité pour l’intervention. En effet, les préoccupations de la femme pour son bébé la motivent souvent à cesser la consommation de substances psychoactives.
Les professionnels sont donc encouragés à diriger ces femmes et leur partenaire vers des ressources spécialisées, qui pourront leur offrir une évaluation et un suivi appropriés (voir la section Ressources et liens utiles).
Les femmes enceintes et les parents qui sont aux prises avec un trouble lié à l’utilisation d’opioïdes (consommation illicite de médicaments opioïdes ou d’héroïne) représentent une clientèle prioritaire pour le traitement de la dépendance aux opioïdes assisté par la médication. Ce type de traitement doit être amorcé par un médecin habilité à le faire. Les centres de réadaptation en dépendance (CRD), les cliniques de toxicomanie ou le CRAN offrent généralement ce type de service.
Par ailleurs, l’intervention offerte doit cibler non seulement l’utilisation même de la substance, mais aussi les difficultés sous-jacentes à la consommation9,10. Un accompagnement médical et psychosocial de réadaptation peut s’avérer nécessaire et être parallèlement offert aux femmes et à leur partenaire qui ont recours aux substances psychoactives pour gérer des difficultés psychosociales ou des troubles mentaux, ou encore à ceux qui manifestent des difficultés à s’adapter à leur nouveau rôle de parent.
Soutien de la relation parent-enfant
La consommation de substances psychoactives peut affecter les capacités parentales (p. ex. : manque de disponibilité physique ou émotionnelle, soins inconstants) et le développement du lien d’attachement de l’enfant19,112. Cependant, la consommation active ou passée ne permet pas d’émettre un jugement définitif quant aux capacités parentales. Une évaluation complète de la situation psychosociale doit être faite et se baser sur des faits, comme dans tous les autres cas d’évaluation de situations potentiellement à risque.
Le nourrisson qui a été exposé in utero à certaines substances psychoactives peut présenter des signes et symptômes de sevrage, appelés syndrome d’abstinence néonatale (p. ex. : irritabilité, pleurs, insomnie), durant les premières semaines et être plus difficile à consoler. Ceci peut en retour amplifier le niveau de stress des parents12,78. Afin de moduler ce stress, il importe donc de soutenir les parents dans les soins qu’ils prodiguent à leur nourrisson.
Certains parents présentant un problème de toxicomanie ont besoin de soutien dans l’acquisition de leurs habiletés parentales, surtout s’ils n’ont pas eu de modèle ou de figure parentale positive dans leur enfance26. Ce soutien favorise le développement du lien affectif avec leur enfant8,112.
Un outil destiné aux intervenants du Québec offre des stratégies d’intervention pour favoriser les pratiques parentales liées au développement d’un attachement sécurisant113. Ce document, intitulé Guide pour soutenir le développement de l’attachement sécurisant de la grossesse à 1 an, peut être consulté en ligne en visitant le https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/document-000989/.
Troubles mentaux
Il est fréquent que les personnes qui consomment des substances psychoactives souffrent également de troubles mentaux (p. ex. : anxiété, dépression, psychose, troubles de la personnalité)32.
L’intervention auprès des femmes enceintes qui consomment devrait de ce fait inclure trois aspects à considérer : santé mentale, grossesse et consommation de substances psychoactives. Cette intervention devrait privilégier une approche coordonnée et intégrée, tout en considérant les besoins individuels des femmes et de leur partenaire32. Par conséquent, il est suggéré d’orienter la femme enceinte qui présente cette double ou triple problématique vers des ressources spécialisées en santé mentale.
Modification de la consommation
La grande majorité des femmes cessent ou réduisent leur consommation de substances psychoactives lorsqu’elles apprennent qu’elles sont enceintes. Il est souhaitable d’encourager leur partenaire à en faire autant, car les partenaires qui modifient ainsi leurs comportements de consommation favorisent leur propre santé ainsi que l’abstinence ou la réduction de la consommation de leur conjointe.
Une étude américaine menée en 2010 indique que parmi différentes substances consommées avant la grossesse (p. ex. : alcool, tabac, substances psychoactives), les substances psychoactives sont celles dont la consommation est la plus susceptible d’être arrêtée durant la grossesse28. Plus précisément, de 73,7 à 100 % des femmes qui consommaient des substances psychoactives avant leur grossesse ont arrêté pendant qu’elles étaient enceintes. Les femmes qui poursuivent leur consommation durant la grossesse sont celles qui ont le plus de difficultés à arrêter. Il semble que l’anxiété, la dépression et une faible estime de soi affectent la capacité de cesser la consommation28.
La grossesse constitue une période charnière pour les femmes toxicomanes. Elles sont plus susceptibles de demander ou d’accepter de l’aide et des services afin de modifier leurs habitudes de consommations, notamment parce qu’elles ont le souci de protéger leur bébé26,111.
Réduction des méfaits
Bien qu’il soit recommandé de cesser complètement toute consommation de substances psychoactives durant la grossesse, ce ne sont pas tous les parents qui réussissent à le faire. La réduction des méfaits peut s’avérer une solution plus adaptée pour certains parents19,114.
Cette approche vise à diminuer les conséquences négatives découlant de la consommation de substances psychoactives, plutôt qu’à éliminer complètement la consommation26,115. Elle permet ainsi de fournir un certain niveau de bénéfices et de réduction de risques pour les futurs parents et le bébé à naître.
En effet, le comportement de consommation varie sur un continuum de risque, allant d’une absence totale de risque à un risque très élevé pour la santé des futurs parents et de l’enfant à naître116. Le changement de comportement est donc conceptualisé comme faisant partie d’un processus, dont l’objectif à long terme est le mieux-être des parents et de l’enfant et pas nécessairement l’abstinence20,114,116.
Il existe différentes stratégies de réduction des méfaits pour aider les futurs parents à diminuer leur consommation de substances psychoactives114. Parmi celles-ci, on note :
- Éviter ou limiter l’exposition à la fumée secondaire;
- Réduire graduellement la quantité de substances psychoactives consommées;
- Alterner des périodes sans aucune consommation (jours ou semaines) avec des moments de consommation;
- Privilégier des comportements de santé pouvant avoir des effets positifs sur l’issue de la grossesse et le développement du bébé, comme avoir une alimentation saine, pratiquer de l’activité physique, avoir un horaire de sommeil régulier et un nombre d’heures de repos suffisant;
- S’assurer que les parents qui continuent à consommer le font de façon sécuritaire (matériel propre, absence d’échange de seringue, endroit sécuritaire);
- Miser sur un suivi de grossesse régulier et établir une alliance thérapeutique. Les parents se sentent encouragés lorsque les intervenants soulignent les efforts qu’ils font pour réduire leur consommation de substances psychoactives.
Traitement de la dépendance aux opioïdes
Pour la santé de la femme enceinte et celle de l’enfant à naître, il n’est généralement pas recommandé de faire un sevrage d’opioïdes durant la grossesse. Comme suggéré par les lignes directrices de la SOGC, « les femmes enceintes ayant un trouble de l’usage des opiacés reçoivent un traitement par agoniste des opiacés, soit à la méthadone ou à la buprénorphine. Si ces médicaments ne sont pas accessibles, d’autres préparations opiacées à libération prolongée peuvent être envisagées »14.
La SOGC précise aussi que « […] les femmes dépendantes aux opioïdes devraient être avisées que les nouveau-nés exposés à l’héroïne, aux opioïdes d’ordonnance, à la méthadone ou à la buprénorphine pendant la grossesse font l’objet d’une étroite surveillance visant à déceler les signes et symptômes du syndrome d’abstinence néonatale. Les hôpitaux offrant des soins obstétricaux devraient élaborer un protocole d’évaluation et de prise en charge des nouveau-nés exposés aux opioïdes pendant la grossesse »14.
La méthadone et la buprénorphine sont des médicaments prescrits par un médecin comme traitement pour les patients aux prises avec un trouble lié à l’utilisation d’opioïdes. Ces deux molécules de la famille des opioïdes remplacent les opioïdes utilisés de façon illicite sur une base régulière. Leur longue durée d’action permet d’atteindre une quantité stable de ces substances dans le sang des patients, afin d’éviter une alternance constante entre les phases d’intoxication et de sevrage aux opioïdes, qui arrivent plusieurs fois par jour chez les personnes qui consomment. La femme sous méthadone ou buprénorphine avant la grossesse devrait être encouragée à conserver le même traitement pharmacologique afin d’éviter les risques de sevrage et de rechute pouvant être associés à un changement de médicament117,118.
On privilégie l’utilisation d’un traitement à base de méthadone ou de buprénorphine chez les femmes enceintes afin de les aider à réduire et éventuellement à cesser leur consommation d’opioïdes, mais également afin de stabiliser leur situation et d’éviter les comportements à risque associés à la consommation. On a longtemps cru que l’arrêt des opioïdes pendant la grossesse pouvait provoquer des contractions de l’utérus et ainsi augmenter les risques d’accouchement prématuré ou de fausse couche. Des études récentes semblent plutôt indiquer que le sevrage des opioïdes pendant la grossesse est probablement sécuritaire119. Toutefois, la dépendance étant une maladie chronique, le risque de rechute de consommation illicite est extrêmement important lorsque l’on favorise un arrêt de la consommation sans traitement sous-jacent, ce qui est à éviter pendant la période prénatale et néonatale. C’est pourquoi le traitement à base de méthadone ou de buprénorphine demeure le premier choix de thérapie.
En outre, le traitement pharmacologique apporte certains avantages, tels que la diminution importante du désir de consommer, le maintien des futurs parents dans un état fonctionnel et un meilleur suivi de la grossesse12,29,62,120-122.