L’agression sexuelle des jeunes dans le sport

Auteurs : Sylvie Parent, Ph.D., Professeure adjointe, département d’éducation physique, Université Laval
et Karim El Hlimi, étudiant au doctorat, département d’éducation physique, Université Laval
 
 

Faits saillants

  • Les études dont nous disposons à l’heure actuelle montrent qu’entre 2% et 8% des athlètes mineurs sont victimes d’agression sexuelle dans le contexte sportif.
  • Dans une analyse de 159 cas d’agressions sexuelles survenus en contexte sportif et rapportés par les médias écrits, dans 98% des cas les agresseurs étaient des entraîneurs, des enseignants ou des instructeurs.
  • Les différentes études ayant documenté l’expérience vécue de jeunes athlètes ayant été victimes d’agression sexuelle montrent que la présence de certaines caractéristiques ou facteurs est récurrente dans les cas étudiés. Il va sans dire que l’ensemble des jeunes sportifs sont vulnérables aux agressions sexuelles et que la présence de ces caractéristiques n’implique pas forcément la victimisation.
  • D’autres études sont nécessaires entre autres pour mieux cerner les facteurs de risque de l’agression sexuelle dans les sports, les agressions sexuelles chez les garçons et les aspects préventifs.
  • Les parents peuvent jouer un rôle dans la prévention des agressions sexuelles dans les sports, que ce soit en s’informant des mesures présentes dans l’organisation que fréquente leur jeune ou en s’assurant de choisir des organisations sportives où le bien-être des jeunes est une priorité.
 
 
 
 

1) Mise en contexte

  • Bien que le sport soit souvent perçu comme un milieu sain, sécuritaire et contribuant au développement positif des jeunes1,2, il constitue également un lieu où l’on observe diverses manifestations de violence, dont les agressions sexuelles3. Le terme «agression sexuelle» est cependant relativement peu utilisé dans la littérature scientifique relative au sport lorsque l’on traite de ce sujet. On fait plutôt référence aux abus sexuels1.
  • L’agression sexuelle des jeunes dans le sport est un champ de recherche relativement récent et les études actuelles ont malheureusement des limites méthodologiques à prendre en considération. En effet, les définitions de l’agression sexuelle (ou de l’abus sexuel) varient en fonction des pays et même des provinces dans lesquelles ces études ont été réalisées. De plus, les protocoles utilisés pour dresser un portrait de l’ampleur et des caractéristiques du phénomène sont essentiellement présentés sous forme de fréquence d’apparition (%)4. Nous n’avons donc que peu de détails sur les relations possibles entre certaines variables comme le genre, le niveau sportif, le type de sport, etc. D’autres études sont nécessaires entre autres pour mieux cerner les facteurs de risque, les agressions sexuelles chez les garçons et les aspects préventifs. Malgré ces limites, il reste très clair que les agressions sexuelles existent dans le sport et méritent une attention accrue
 
 
 
 

2) Ampleur et caractéristiques

Victimes d’agression sexuelle en contexte sportif

 
 

Entre 2% et 8% des athlètes seraient victimes d’agression sexuelle dans le contexte sportif.

  • Les études dont nous disposons à l’heure actuelle montrent qu’entre 2% et 8% des athlètes (mineurs et majeurs) sont victimes d’agression sexuelle dans le contexte sportif5,6. Certaines hypothèses ont été émises à l’effet que les jeunes athlètes d’élite seraient plus susceptibles d’être agressés que les jeunes athlètes de moindre niveau7, ce qui a été démontré par d’autres études par la suite6. Il semble que le type de sport dans lequel évolue le jeune n’ait pour sa part pas d’incidence sur le risque d’être victime8.
  • En outre, on observe que les filles sont plus fréquemment victimes d’agression sexuelle dans le contexte sportif que les garçons3. Cependant, peu d’études ont à ce jour inclus les garçons dans leurs échantillons ; certains choix méthodologiques ayant été influencés par le paradigme homme agresseur et femme victime9,10. Aussi, nous savons que les garçons sont très peu enclins à dénoncer ce genre de victimisation11, ce qui pourrait peut-être expliquer ces différences. Il reste que l’agression sexuelle de garçons dans le contexte sportif mérite une attention accrue de la communauté scientifique12.

Auteurs d’agression sexuelle dans un contexte sportif

 
 

Dans une analyse de 159 cas d’agressions sexuelles survenus en contexte sportif, les agresseurs étaient des entraîneurs, des enseignants ou des instructeurs dans 98% des cas.

  • Même s’il existe d’importantes ressemblances entre les agresseurs sexuels en sport et hors sport, certaines caractéristiques des agresseurs sont propres aux agressions sexuelles commises dans un contexte sportif1. Dans leur analyse de 159 cas d’agressions sexuelles survenus en contexte sportif et rapportés par les médias écrits, Brackenridge et al. (2008)13 soulignent que dans 98% des cas, les agresseurs étaient des entraîneurs, des enseignants ou des instructeurs. Selon ces mêmes auteurs, l’âge des agresseurs variait entre 16 et 63 ans (moyenne 34,2 ans), et près du tiers étaient mariés (29%) et avaient des enfants (31%). Plusieurs études démontrent aussi que la majorité des agresseurs en contexte sportif est de sexe masculin, même s’il a été démontré que des femmes peuvent également commettre ces gestes14.

Agressions sexuelles commises dans un contexte sportif

  • Le contexte dans lequel les agressions sexuelles surviennent semble être relativement le même pour les garçons et les filles. Les agressions sexuelles surviennent principalement dans les lieux où les activités sportives se déroulent, au domicile de l’agresseur, pendant les séances d’entraînement, dans les événements sociaux non reliés au sport ou pendant les voyages (compétitions)3.
  • Les études menées sur les agressions sexuelles dans le contexte sportif indiquent que les agresseurs utilisent différentes stratégies pour parvenir à leurs fins3. Brackenridge (2001) explique qu’il y a établissement progressif d’une relation de confiance entre une personne en position d’autorité et un jeune athlète. Ensuite, les limites de la relation entre jeune et intervenant sont outrepassées peu à peu pour en arriver à l’agression sexuelle proprement dite. Ces étapes s’appliquent aux stratégies qu’un agresseur adopte pour convaincre ou forcer un jeune à s’engager dans une relation sexuelle avec lui. L’agresseur s’assure d’obtenir la coopération du jeune athlète et de lui faire garder le silence15. Ce processus reflète le pouvoir que peut détenir un entraîneur par rapport au jeune athlète5,16,17.
 
 
 
 

3) Facteurs de risque

Les études disponibles à l’heure actuelle nous permettent de croire que certaines caractéristiques des jeunes athlètes, des entraîneurs et du milieu sportif peuvent contribuer à augmenter la vulnérabilité des jeunes évoluant dans ce contexte17. Il va sans dire que l’ensemble des jeunes sportifs sont vulnérables aux agressions sexuelles et que la présence de ces caractéristiques n’implique pas forcément la victimisation. Cependant, les différentes études ayant documenté l’expérience vécue de jeunes athlètes ayant été victimes de ce genre d’agression montrent que la présence de certaines caractéristiques ou facteurs est récurrente dans les cas étudiés. Ces facteurs sont plus précisément de cinq ordres :

  1. les facteurs liés aux intervenants sportifs (entraîneurs notamment),
  2. les facteurs liés au jeune lui-même,
  3. les facteurs liés à la relation entraîneur-athlète,
  4. les facteurs liés à la culture du sport, ainsi que
  5. les facteurs liés aux institutions qui encadrent et régissent la pratique (clubs sportifs ou fédérations sportives).

Les intervenants sportifs

Les agressions sexuelles perpétrées à l’endroit des jeunes dans le sport sont majoritairement commises par des hommes et la plupart du temps, ce sont les entraîneurs qui posent ces gestes3. L’entraîneur qui agresse jouit souvent d’un statut élevé au sein de l’organisation sportive ou du sport, que ce soit dans sa ville, sa province ou son pays. Il a une bonne réputation et bénéficie de la confiance des parents et des jeunes17.

Les jeunes athlètes

Pour le moment, les statistiques disponibles montrent que les jeunes athlètes féminines constituent la majorité des victimes de ce genre de crime5, bien qu’une proportion considérable de garçons en soit également victimes12. Les chercheurs ont noté que les jeunes ayant été victimes d’agression sexuelle dans le contexte sportif avaient souvent une faible estime de soi, des relations difficiles avec leurs parents, des troubles alimentaires et évoluaient souvent au haut niveau (élite)6.

La relation entraîneur-athlète

L’entraîneur a une grande influence sur les jeunes athlètes17. Bien que dans la majorité des cas, cette influence s’avère être des plus positive, il arrive que certains intervenants sportifs outrepassent les limites de la relation saine entre eux et les jeunes évoluant sous leur responsabilité18. Le pouvoir que détient l’entraîneur, s’il est mal utilisé, peut placer les jeunes dans une situation de vulnérabilité. En effet, les jeunes athlètes accordent souvent une très grande confiance à leur entraîneur et certains intervenants mal intentionnés peuvent profiter de cette confiance pour exercer un contrôle et une domination sur les jeunes qu’ils encadrent, ce qui est considéré comme un facteur de risque important15.

La culture du sport

Dans l’environnement sportif, on remarque une certaine normalisation de comportements non-appropriés qui ne seraient pas acceptés en-dehors de la sphère sportive, comme par exemple les bagarres, la normalisation des blessures et de la douleur, etc16. Les auteurs soulèvent également des facteurs de risque de l’agression sexuelle dans les sports liés à la culture sportive comme la confiance aveugle de certains parents envers l’entraîneur et la prédominance de la performance sur le bien-être des jeunes sportifs5.

Institutions et organisations sportives

Les études menées sur les mesures de prévention et de gestion des cas d’agression sexuelle au sein d’organisations sportives suggèrent que, malgré les efforts déployés pour protéger les jeunes sportifs, des améliorations importantes sont nécessaires pour assurer une protection optimale à ces jeunes en matière d’agression sexuelle. En effet, les conclusions de la recherche montrent entre autres que les organisations sportives manquent de ressources et de connaissances pour prévenir et intervenir au regard des agressions sexuelles, qu’ils n’assurent pas toujours un bon contrôle lors du recrutement et de l’embauche des intervenants sportifs et que peu d’entre elles ont mis en place des mesures préventives des agressions sexuelles1,20,21.

 
 
 
 

4) Conséquences

Les conséquences de l’agression sexuelle chez les jeunes athlètes victimes sont similaires à celles que l’on observe en général chez les victimes d’agression sexuelle dans un autre contexte22. Les victimes vivent, entre autres, des conséquences importantes d’ordre psychosocial (embarras social, difficulté à établir des liens sociaux, impacts sur la famille et les amis, atteinte à l’estime de soi, consommation d’alcool et de drogues, etc.) et physiques (désordres alimentaires, troubles du sommeil, etc.)7,20. Cependant, certaines conséquences observées chez les jeunes athlètes victimes touchent directement leur implication sportive, que ce soit l’abandon ou le changement de sport, la diminution de la performance, l’absence aux entraînements ou le manque de concentration à l’entraînement23.

 
 
 
 

5) Implications pour la prévention

  • La prévention des agressions sexuelles dans le milieu sportif mérite une attention accrue21. La prévention devrait idéalement s’effectuer à divers niveaux, que ce soit sur :
    • les facteurs qui influencent la mise en place de mesures préventives dans les organisations sportives (formation des administrateurs sportifs, leadership, soutien aux organisations) ;
    • les mesures visant à empêcher ces gestes d’être commis (vérification des antécédents judiciaires, règles relatives à la gestion des comportements, sensibilisation des divers acteurs à la problématique) ; et
    • les mesures de gestion des cas (mesures disciplinaires, ressources pour les victimes et procédures de plainte)21.
  • Bien qu’il soit important d’intervenir sur ces aspects, il semble également déterminant de ne plus tolérer dans le contexte sportif des comportements qui seraient jugés inacceptables dans d’autres contextes comme les milieux de garde ou l’école.
  • Les parents ont aussi un rôle à jouer dans la prévention, que ce soit en s’informant des mesures présentes dans l’organisation que fréquente leur jeune ou en s’assurant de choisir des organisations sportives où le bien-être des jeunes est une priorité.

Dernière mise à jour : novembre 2012

 
 

Références

  1. Brackenridge, C. (2001). Spoilsports : understanding and preventing sexual exploitation in sport. London : Routledge.
  2. Fasting, K., Brackenridge, C., Miller, K.E. et Sabo, D. (2008). Participation in college sports and protection from sexual victimization. International Journal of Sport and Exercise Psychology, 6(4), 427-441.
  3. Brackenridge, C., Bishop, D., Moussalli, S. et Tapp, J. (2008). The characteristics of sexual abuse in sport : A multidimensional scaling analysis of events described in media reports. International Journal of Sport and Exercise Psychology, 6(4), 385-406.
  4. Alexander, K., Stafford, A. et Lewis, R. (2011). The experiences of children participating in organised sport in the UK. Center for UK Learning in Child Protection.
  5. Kirby, S.L., Greaves, L. et Havinsky, O. (2000). The dome of silence sexual harassment and abuse in sport. Halifax, N.S. : Fernwood.
  6. Leahy, T., Pretty, G. et Tenenbaum, G. (2002). Prevalence of sexual abuse in organised competitive sport in Australia. Journal of Sexual Aggression : An international, interdisciplinary forum for research, theory and practice, 8(2), 16-36.
  7. Brackenridge, C. et Kirby, S. (1997). Playing safe : Assessing the risk of sexual abuse to elite child athletes. International Review for the Sociology of Sport, 3(4), 407-418.
  8. Fasting, K., Brackenridge, C. et Sundgot-Borgen, J. (2004). Prevalence of sexual harassment among norwegian female elite athletes in relation to sport type. International review for the sociology of sport, 39(4), 373-386.
  9. Hartill, M. (2005). Sport and the sexually abused male child. Sport, Education and Society, 10(3), 287-3044.
  10. Hartill, M. (2009). The sexual abuse of boys in organized male sports. Men and masculinities, 12, 225-249.
  11. Alaggia, R. (2005). Disclosing the trauma of child sexual abuse: A gender analysis. Journal of Loss & Trauma, 10(5), 453-470.
  12. Parent, S. et Bannon, J. (2012). Sexual abuse in sport : What about boys? Children and Youth Services Review, 34, 354-359.
  13. Brackenridge, C., Bishop, D., Moussalli, S. et Tapp, J. (2008). The characteristics of sexual abuse in sport : A multidimensional scaling analysis of events described in media reports. International Journal of Sport and Exercise Psychology, 6(4), 385-406.
  14. Brackenridge, C.H, Fasting, K., Kirby, S. et Leahy, T. (2010). Protecting children from violence in sport – A review with a focus on industrialized countries. Extrait du site web de l’UNICEF. Consulté le 4 novembre 2011 : www.unicef-irc.org/publications/pdf/violence_in_sport.pdf
  15. Cense, M. et Brackenridge, C. (2001). Temporal and developmental risk factors for sexual harassment and abuse in sport. European Physical Education Review, 7(1), 61-79.
  16. Toftegaard, J.N. (2001). The forbidden zone: intimacy, sexual relations and misconduct in the relationship between coaches and athletes. International review for the sociology of sport, 36(2), 165-182.
  17. Stirling, A.E. et Kerr, G.A. (2009). Abused athletes perceptions of the coach-athlete relationship. Sport in Society, 12(2), 227-239.
  18. Brackenridge, C., Bishop, D., Moussalli, S. et Tapp, J. (2008). The characteristics of sexual abuse in sport : A multidimensional scaling analysis of events described in media reports. International Journal of Sport and Exercise Psychology, 6(4), 385-406.
  19. Malkin, K., Johnston, L., et Brackenridge, C. (2000). A critical evaluation of training needs for child protection in UK sports. Managing Leisure, 5(3), 151-160.
  20. Parent, S.(2011). Disclosure of sexual abuse in sport organizations: a case study. Journal of Child Sexual Abuse, 20(3), p.322-337.
  21. Parent, S. et Demers, G. (2011). Sexual Abuse in Sport: A Model to Prevent and Protect Athletes. Child Abuse Review, 20, 120–133.
  22. Leahy, T., Pretty, G., & Tenenbaum, G. (2008). A contextualized investigation of traumatic correlates of childhood sexual abuse in Australian athletes. International Journal of Sport and Exercise Psychology, 6(4), 366-384.
  23. Fasting, K., Brackenridge, C. et Walseth, K. (2002). Consequences of sexual harassment in sport for female athletes. Journal of sexual aggression, 8(2), 37-48.